Dur, dur d'être grand-mère

Dur, dur d'être grand-mère...

Surtout quand la 'petite' a 18 ans, un petit ami, plein de complexes et des idées bien à elle.

En fait la 'petite' que j'appellerai Julie pour que ses copines ne risquent pas de la reconnaître, si par le plus grand des hasards, l'une d'entre elles tombe sur ce blog, fait bien 15 cm de plus que moi.

Julie vit chez moi depuis trois mois pour des histoires de familles recomposées...

parce qu'elle ne trouve plus sa place, ni d'un côté ni de l'autre,

parce que c'est chez moi qu'elle a toujours trouvé une oreille attentive,

parce que je suis retraitée et que j'ai le temps...

Dernièrement, dans la nuit du dimanche au lundi, c'était la gastro !

C'est sûr qu'à 18 ans, une fille ne doit pas trop s'habiller de crainte de paraître trop grosse, même si les températures sous abri frôlent les 0°, sans parler des températures ressenties !

C'est sûr qu'on doit mettre un petit pull en coton fuchsia parce que le marron du pull en laine ne s'associe pas avec le noir des chaussures... Etait-ce si compliqué quand j'avais 18 ans ? C'était en 1964....

Mais ce n'est peut-être pas le froid qui a provoqué la gastro, c'est peut-être le week-end passé avec les amis à fêter un anniversaire... Allez savoir...

En tout cas, c'est chez moi que la gastro s'est déclarée !

Nuit blanche pour Julie et moi.

Cette grande ado redevenue petite fille malade, m'implorant du regard, comme si je pouvais encore lui faire croire que j'étais capable par une simple caresse d'aspirer sa douleur...

C'est pas humain la gastro ! On se vide, on se liquéfie, on se répand.

Et faut nettoyer !

Ça,ce fut pour moi. Ne pas dormir pour ne pas dormir, autant agir. Devise de grand-mère.

Et voir le côté positif de la chose : pas de classe lundi, donc pas de lever à 6 h pour être à la gare à 6 h 45. On pourra peut-être récupérer un peu de sommeil sur le matin. Quoique....
à partir d'un certain âge, le sommeil vous joue des tours. Il va, il vient, il fait des détours, il musarde, il coupe court...

Et ma tactique c'est de me persuader que si je dors mal une nuit je peux récupérer la nuit suivante, vu que je suis en retraite. Sauf que là, ça n'est plus tout à fait la retraite pour moi : faut se caler sur les horaires scolaires... Dur, dur d'être grand-mère.

Le week-end d'avant celui de la gastro, ça a été la rupture d'avec le petit ami...

Anéantie elle était. Anéantie je devins...

La rupture venait de Thomas (prénommons-le ainsi). Incompréhensible. Inimaginable. Abyssal.

La chute incessante jusque... mais où se trouve le fond ?

Je me retiens bien sûr de consoler avec des banalités du style 'un de perdu, dix de trouvés'. Quoique...

J'écoute, j'essaie de comprendre les mots qui se déversent mêlés aux larmes. Mon bon sens pratique n'est d'aucune aide, d'aucun soulagement.

Elle avait fondé tout son avenir sur cette relation : les études futures dans la grande ville lointaine, une vie à deux en construction, la volonté ferme de ne pas reproduire le modèle parental : l'éclatement, la dispersion...

Elle avait commencé son cahier de recettes de cuisine ! Régulièrement elle me demandait comment j'avais fait tel ou tel plat, et sa plus grande inquiétude était de savoir si Thomas allait apprécier !

C'est pas humain le chagrin, c'est comme la gastro. On se répand, on se liquéfie, on tombe, on n'arrête pas de tomber et l'abîme n'a pas de fond... Dur, dur d'être grand-mère.

Ma grande inquiétude, ce week-end de rupture, concernait le bac blanc qui devait commencer le lundi.

C'est malin de rompre la veille d'un bac blanc ! Je commençai à en vouloir à Thomas. Il aurait pu attendre un peu ! D'autant que lui et Julie ne se voient pas beaucoup puisque 200 km les séparent.

Quelle mouche l'avait donc piqué ? Ou quelle autre nana ? Cette pensée d'une autre nana, je n'osais pas la partager avec Julie, j'avais trop peur qu'elle s'effondre complètement.

Il faisait bien froid ce lundi matin à 6h45 sur le quai de la gare à attendre le train pour le lycée...

Je ne l'accompagne pas jusqu'au quai bien sûr. Ce serait un peu la honte pour cette jeune fille – pas mal ma foi – d'être amenée par sa grand-mère jusqu'au train... Je reste dans ma voiture, faisant lentement le tour du parking, attendant que le train s'ébranle, des fois qu'il ne partirait pas pour cause de travaux, de grèves, de pannes, d'erreurs, d'accidents, d'un tas de trucs que personne ne maîtrise, et qu'il faudrait que je fonce la conduire à son lycée situé à 40 km... C'est déjà arrivé deux fois depuis que Julie vit chez moi.

Bah, ça me fait rester jeune, me consolent les copines !

Bah, j'aimerais mieux rester jeune sans avoir à affronter la mêlée des conducteurs pressés d'arriver à leur boulot...

Il y a ceux qui habitent la ville A et vont travailler dans la ville B, et ceux qui habitent la ville B et vont travailler dans la ville A.

Et tous les matins, et tous les soirs, c'est l'affrontement ! Drôle de jeu dont je ne connais plus les règles, où je n'ai plus ma place, où je n'ai plus envie d'avoir ma place... Dur, dur d'être grand-mère.

Bon, ça s'est arrangé avec le petit ami ! Je n'ai pas trop interrogé, je me suis juste contentée d'apprendre que "les choses avaient évolué"...

Mais il y a eu la gastro : fallait bien que cet excès de souffrance se matérialise n'est-ce pas ?

Et je trouve Julie un peu changée quand même, un peu plus distante, un peu plus réservée, un peu moins confiante... pas spécialement vis à vis de moi, mais vis à vis de tout le monde, surtout en ce qui concerne les bonnes copines qui étalent l'intimité des autres sur Facebook ou autre et qui se régalent à faire de la télé-réalité sur le dos de celle qui souffre...

Je dois dire que je n'ai pas fait d'effort pour ne pas dire à Julie ce que je pensais de ces comportements 'modernes' qui consistent à faire comme si on participait à un Loft Story quelconque ! Sur ce point-là, les deux générations qui nous séparent, ne risquent pas de s'amenuiser !

Bon, d'accord, je me suis mise au blog... J'étale ma vie privée...

Bon... Ça fait réfléchir d'être grand-mère.

Là où les deux générations de fossé se font beaucoup ressentir, c'est dans les 'devoirs'. Je parle des devoirs scolaires bien sûr.

Il faut dire que j'ai été enseignante pendant 40 ans, et que j'ai bien des difficultés à admettre l'attitude 'cool' des élèves de 'maintenant' devant le travail personnel...

Un des points faibles de Julie sont les mathématiques, et j'ai cru de mon 'devoir' de l'aider !

Fonctions, affines ou non, primitives et dérivées, courbes en tout genre, etc. J'ai essayé d'y re-comprendre quelque chose... Hmmm, je crois que j'étais sur la route de la folie... et ce n'est pas parce que je m'efforçais de comprendre que Julie avait, du moins prenait, le temps de m'écouter à lui expliquer...

J'ai craqué quand j'ai compris qu'il fallait que j'apprenne à utiliser la calculatrice ! Eh oui, j'ai craqué. Mon manque de sommeil et le stress accumulé depuis trois mois, mes propres problèmes, tout ça a eu raison de ma 'sagesse' de personne 'mûrissante' – euphémisme pour 'vieillissante', ça va sans dire - ...

J'y suis allée de couplets de grand-mère ex-enseignante ; j'ai vidé mon  sac.

"Tu sais, mamie, jusque là j'ai toujours travaillé seule, sans aide, et je m'en sors à peu près : j'ai quand même eu les encouragements au premier trimestre. C'est pas si mal, non ?"

...

Oui, c'est même bien.

Merci Julie pour cette leçon donnée gentiment... Ça a du bon d'être grand-mère.